ALLEMAGNE - Allemagne médiévale

ALLEMAGNE - Allemagne médiévale
ALLEMAGNE - Allemagne médiévale

Plus de six siècles séparent la Germanie héritée des Carolingiens de cette «fédération de princes» qu’est l’Allemagne de la Réforme. L’histoire de cette longue période offre le contraste entre une politique vainement hantée par l’idée d’empire et la lente formation de la société allemande.

Le Saint Empire romain germanique a Rome pour centre, et la mainmise sur la papauté passe avant toutes les autres affaires allemandes. De cette politique et de son échec résulte une double conséquence: l’Empire va se réduire à la seule Allemagne, tandis que les principautés territoriales s’y développent, donnant à la féodalité allemande son visage particulier.

Le Drang nach Osten («marche vers l’Est») aurait pu être la grande idée allemande, qui offrait à l’assimilation germanique de vastes territoires évangélisés, colonisés ou conquis. En fait, si l’Allemagne y trouve quelque extension, les traditions nationales ont supplanté, en Pologne, en Hongrie, dans la Bohême tchèque, le lien à l’Empire. Quant à l’Italie, elle échappe définitivement à la souveraineté allemande, témoignant d’ailleurs de l’échec de la papauté à assurer un rôle fédérateur.

Le poids des principautés territoriales transforme l’imperium en une royauté élective. La réforme grégorienne s’est introduite très tôt dans un empire encore carolingien, établissant la distinction du spirituel et du temporel, privant par là l’État de ces administrateurs précieux qu’avaient été les évêques. Pour freiner les forces centrifuges et faire accepter sa politique italienne, l’empereur, de plus en plus, doit accorder à ses vassaux la domination de la terre. Ainsi, les quatre duchés ethniques se transforment en duchés territoriaux; ainsi se développe une aristocratie soucieuse d’asseoir sa puissance sur une base territoriale. Hostile à l’hérédité du titre impérial, elle met à profit le conflit avec la paupauté pour lutter contre tout pouvoir centralisé; elle confirme et prolonge une structure politique faite de particularismes, à un moment où les pays d’Occident organisent un pouvoir central et dynastique.

La société allemande se forme cependant, et souvent en marge de l’histoire politique.

Du Xe au XIIe siècle, la Germanie carolingienne participe au lent essor démographique que connaît l’Europe. Cette population clairsemée, qui n’excède sans doute pas trois millions d’habitants, est essentiellement rurale. L’extension de l’assolement triennal, les progrès des techniques agricoles et de la production céréalière, les nouveaux défrichements (Bavière et Autriche) semblent indiquer une relative amélioration des conditions d’existence. Les paysans vivent souvent sous le régime de la seigneurie qui va progressivement s’affirmer. Tandis que se fonde une série de villes-marchés, la «renaissance ottonienne» fait entrer l’Allemagne dans le circuit des relations commerciales avec l’Europe.

Les progrès économiques et sociaux sont importants à partir du XIIe siècle. La colonisation de l’Est, facilitée par la montée de la population à douze millions d’habitants, suscite une immigration importante et des mouvements de population vers les terres nouvellement conquises. L’exploitation des gisements miniers (Silésie, Thuringe), le développement de la métallurgie, la conquête du commerce baltique, tout concourt à un essor urbain dont témoignent les villes nouvelles comme Fribourg, Munich, Leipzig. Face à une seigneurie rurale qui se ferme en une caste et travaille à rendre ses droits héréditaires, se développe la bourgeoisie urbaine: la ville des marchands et des artisans obtient son autonomie; elle a déjà son droit particulier et commence à se créer des institutions.

Les XIVe et XVe siècles s’inscrivent dans la conjoncture européenne d’une montée des prix qui affecte les catégories sociales les plus modestes. Au milieu du XIVe siècle, s’abattent les calamités, famines, épidémies, dont la peste noire qui emporte à Hambourg les deux tiers de la population. Le recul démographique est considérable, et l’Allemagne du XVe siècle atteindra péniblement les quinze millions d’habitants. L’arrêt de l’expansion orientale, le déclin de la Hanse sont autant de signes de ce recul. La servitude paysanne se développe, qui va se généraliser à toute l’Allemagne, tandis que la seigneurie, confirmée dans l’hérédité de ses droits, se voit confier la fonction justicière. Le monde rural ne peut plus s’exprimer que par des révoltes qui marquent le début du XVIe siècle. Au contraire, la vie urbaine est intense, dans ces villes du Reich qui ont désormais leur administration, le Rat , et sont dominées par la bourgeoisie. La banque, la société commerciale sont devenues des institutions de la vie économique; la production minière atteint un niveau estimé à deux millions de florins-or, et suscite un développement considérable des industries de transformation. La grande entreprise fait son apparition, tandis que se forme le prolétariat urbain: nous entrons déjà dans l’ère du capitalisme.

Ainsi, à la veille de la Réforme, le problème allemand est d’organiser, par un État centralisé, les forces vives d’une nation déjà constituée.

1. L’État germanique carolingien (Xe-XIIe siècle)

Le royaume de Germanie

Si l’Allemagne du Moyen Âge est l’héritière du royaume de Francia orientalis reconnu, au traité de Verdun (843), à l’un des fils de Louis le Pieux, Louis le Germanique, l’expression «Allemagne» est due aux Français qui, à partir du Xe siècle, étendirent à un vaste ensemble le nom d’une région limitée au pays du Danube et du Rhin supérieurs, l’Alamanie ou Souabe. Les termes employés dans l’espace germanique étaient ceux de Reich der Deutschen et, dans les milieux savants, de Regnum Theutonicorum . Quant aux rois, ils tiraient leur titre du nom d’un peuple qui, ou bien ne représentait pas l’ensemble de l’Allemagne, rex Saxonum , ou bien lui était étranger, rex Romanorum , ou encore prêtait à confusion, rex Francorum .

Avec la Lotharingie, annexée définitivement à partir de 925, l’Allemagne s’étendait à partir de la mer du Nord, qui formait sa limite de l’embouchure de l’Escaut à la presqu’île de Jutland, où l’Eider constituait la frontière avec le Danemark, jusqu’à la mer Baltique, où elle ne possédait qu’une étroite ouverture dans la baie de Kiel. De là, une limite indécise rejoignait l’Elbe, qu’elle remontait ensuite pour atteindre le cours de la Saale, qu’elle suivait jusqu’au Böhmerwald, face aux peuples slaves. Plus au sud, l’Allemagne avait beaucoup reculé depuis le début du Xe siècle, du fait des Hongrois, et la frontière était désormais sur l’Enns.

Dans les Alpes, au voisinage de l’Italie, les limites se confondaient avec la ligne de partage des eaux, laissant à l’Allemagne les principaux cols et le haut bassin de l’Adige; à partir du Saint-Gothard, la frontière se dirigeait vers le nord-ouest pour atteindre le Rhin dans la région de Bâle, séparer l’Allemagne du royaume de Bourgogne, puis de celui de France dont les confins passaient à l’ouest de la Meuse, laissant Verdun et même Bar (-le-Duc) à l’Allemagne, pour toucher enfin l’Escaut.

Dans ces limites vivaient, réserve faite des populations romanes de Lotharingie, des habitants en très grande majorité de langue germanique. Cette communauté linguistique développa de bonne heure une sorte de sentiment commun, qui éclaire le terme deutsch par lequel les Allemands se désignaient, en rapport avec le mot haut allemand theodisk , qui signifie «populaire». Cette communauté de langage n’excluait pas, cependant, des différences dialectales qui, avec les coutumes et traditions particulières encore vivantes – Alamanie, Bavière et surtout Saxe ayant été incorporées tardivement au regnum Francorum – expliquent les différenciations politiques. Au IXe siècle, les invasions incessantes des Danois, des Slaves et des Hongrois eurent pour effet de ressusciter ces particularismes, en regroupant les peuples sous la protection de quelques grands personnages, qui prirent le titre de ducs sans cesser de reconnaître nominalement l’autorité du roi: ce fut l’origine des quatre «duchés nationaux» de Saxe, Franconie, Bavière et Souabe.

En Saxe, une dynastie de ducs s’était implantée; l’un deux, Otton, s’acquit un grand prestige en luttant contre les Danois et les Slaves; son successeur Henri s’efforça de civiliser le pays en y fondant des villes. Les ducs de Bavière détenaient plusieurs comtés, ainsi que les marches de Bohême et de Carinthie, et luttaient contre les Hongrois. Dans les autres duchés, l’institution ducale était moins enracinée et l’autorité disputée entre les grandes familles, comme, en Franconie, les Babenberg de la région du Main supérieur (Bamberg) et les Conradin du Rhin moyen, qui devaient l’emporter avec Conrad, élu roi en 911. Un cinquième duché, celui de Lotharingie, ou Lorraine, ne correspondait pas à un groupe ethnique mais à une région longtemps contestée entre la Francia occidentalis et la Francia orientalis.

L’avènement de la maison de Saxe

Une telle situation risquait d’être grave à l’extinction des Carolingiens de Germanie; mais les grands de Franconie et de Saxe se mirent d’accord pour assurer l’élection de Conrad Ier (911), qui fut reconnu par la Souabe et la Bavière, tandis que la Lorraine se ralliait au Carolingien de France. Conrad eut fort à faire pour obtenir la soumission effective des ducs, surtout celui de Saxe, Henri, dont le duché était le plus puissant. Il eut la sagesse de le recommander pour son successeur (919). Henri eut beaucoup de peine à se faire reconnaître par les ducs, mais il put reprendre la Lorraine après l’élimination du Carolingien Charles le Simple, et fut le fondateur de la dynastie saxonne qui régna de 919 à 1024. Pour assurer la transmission de la couronne dans la famille, chaque souverain joua de deux principes apparemment contradictoires, l’élection et l’hérédité: le roi était élu par les grands, mais dans une certaine famille considérée comme particulièrement apte au commandement. Le roi qui voulait réserver la couronne à son fils le faisait élire de son vivant et l’associait au trône; procédé qui fut employé par d’autres dynasties: ainsi, peu avant sa mort, Henri Ier obtint des grands la promesse d’élire son fils Otton; celui-ci, allant plus loin, fit élire son fils Otton, âgé de six ans. Il poussa la précaution jusqu’à le faire couronner à Aix-la-Chapelle (961). À son tour Otton II fit élire roi son fils Otton III, âgé seulement de trois ans (983); et la procédure avait tellement favorisé le principe héréditaire qu’après Otton III, décédé sans laisser d’héritier direct, son cousin Henri II put revendiquer la royauté. Pourtant, en fin de compte, l’hérédité devait triompher en France, grâce à la durée des Capétiens, alors que la disparition rapide des dynasties en Allemagne rendit toute sa force au principe électif.

Le règne d’Otton Ier et l’expansion allemande

Le règne d’Otton Ier, de 936 à 973, fut capital: il donna à la royauté germanique un prestige incomparable en raison de la forte personnalité, du sens politique et des succès extérieurs du souverain, ce qui permit à celui-ci de restaurer à son profit la dignité impériale. Pourtant, les moyens d’action de la monarchie ottonienne étaient bien faibles, plus réduits encore que ceux de Charlemagne: pas de capitale, rien qui rappelât ce qui avait existé un siècle plus tôt à Aix-la-Chapelle. Des déplacements continuels étaient imposés au souverain et à son entourage par la nécessité de vivre des revenus des domaines et d’exploiter le droit de gîte, mais aussi de garder le contact avec les sujets. Les gouverneurs locaux étaient moins bien tenus en main parce que, si la circonscription de base restait le comté, les comtes ne dépendaient plus directement du roi et les ducs s’interposaient entre lui et eux, et aussi parce que l’institution carolingienne des missi dominici avait disparu. L’activité législative du souverain subissait un arrêt total, et les ressources financières de la royauté se trouvaient de plus en plus réduites par l’extension de l’immunité et des concessions de droits régaliens (péages, monnaie, droits de marché). Otton parvint à faire du titre ducal une fonction exercée par un vassal, à l’entière disposition du souverain, plaça des membres de sa famille ou des fidèles à la tête des duchés, y maintenant une possibilité de regard par l’institution des comtes palatins. En même temps, pour pallier le danger que ne pouvait manquer de représenter la tendance à l’hérédité des charges, il utilisa au mieux de ses intérêts l’Église allemande, enrichie, dont il fit une alliée, sinon une assujettie. Le milieu des clercs de la chapelle royale fournissait au roi ses conseillers et lui permettait de recruter ses évêques.

Le règne d’Otton a marqué l’extension tout à la fois de l’influence allemande au Danemark, en France, en Bourgogne, en Italie, et du territoire allemand à l’est de l’Elbe, cette œuvre n’ayant pu être conduite à bien qu’après la victoire sur les Hongrois. En France, Otton mena une politique d’intervention dans le conflit qui opposa les derniers Carolingiens aux Robertiens.

À la fin du Xe siècle, les rois français, à quelque famille qu’ils appartiennent, témoignent leur déférence envers le souverain allemand. Les rois de Bourgogne-Provence font de même, tel Conrad le Pacifique (937-993) qui alla, quant à lui, jusqu’à la soumission de fait envers les Otton, auxquels il amena à plusieurs reprises des contingents militaires. Au Danemark, l’influence germanique pénétra par l’intermédiaire des évêques des nouveaux sièges danois, des Allemands suffragants de Hambourg.

Cependant, on ne peut vraiment parler d’expansion qu’à l’égard des peuples slaves. La pression allemande fut vive dans le secteur de l’Elbe sous Otton Ier, qui suivait la tradition saxonne et établit, le long du fleuve, des marches dont les chefs avaient la double mission de mettre l’Allemagne à l’abri des incursions et d’étendre la domination allemande. Ainsi furent constitués la marche d’Hermann Billung autour du nouvel évêché d’Oldenbourg, le Nordmark, futur Brandebourg, centré sur l’évêché de ce nom, l’Ostmark, qui devait emprunter aux anciens occupants slaves le nom de Lusace; enfin, chez les Sorbes, les petites marches de Zeitz, de Mersebourg et de Meissen, celle-ci formant le noyau de la Misnie. Les margraves, dont le domaine d’action, la marche, devint rapidement une possession territoriale, jouissaient d’un pouvoir fait de divers éléments: disposition des châteaux et commandement militaire, capacité de distribuer auctoritate regis des biens d’empire aux Églises, perception du wozot (redevance en grain acquittée par les paysans au roi, puis au margrave) et des tonlieux, droits sur la circulation et la vente des marchandises aux marchés. Les premiers contingents de paysans arrivaient des Pays-Bas, de Franconie et de Thuringe, organisés en communautés, échappant à l’oppression seigneuriale, à l’alourdissement des charges consécutif à l’exploitation du Ban. Déjà apparaissent quelques burgs, à la fois marchés et forteresses dont la garde était assurée par les paysans; des évêchés étaient fondés, soumis à la nouvelle métropole de Magdebourg, érigée en 976.

Mais cette expansion allemande n’eût pas été possible si le danger hongrois avait continué à peser sur l’Allemagne. Contre les Hongrois, il n’y avait guère de riposte possible, faute d’une cavalerie légère, sauf le recours aux fortifications, origine de nombreux châteaux et villes d’Allemagne du Sud et d’Italie du Nord. Pourtant leurs ravages commençaient à décroître au milieu du Xe siècle, parce que le profit des expéditions diminuait du fait des résistances et que, dans la plaine, la sédentarisation progressait. La défaite qu’Otton Ier infligea aux Hongrois en 955, au Lechfeld près d’Augsbourg, facilita la restauration de l’Empire à son profit et amena des remaniements territoriaux, la réoccupation de l’ancienne marche carolingienne, l’Ostmark, la future Autriche, confiée aux Babenberg, et de la Carinthie, démembrée de la Bavière et constituée en duché.

En Italie, la confusion qui régnait allait permettre à Otton d’agir vigoureusement. En 951, Otton s’assura le titre de roi d’Italie, aux dépens de Bérenger, marquis d’Ivrée. Mais cette première «descente» germanique en Italie fut immédiatement suivie d’un retour vers l’Allemange révoltée, flux et reflux qui constitueront, durant trois siècles, la motivation de la politique de tous les rois allemands, jusqu’à la catastrophe finale. Bérenger reprit de l’influence au déplaisir du pape, qui sollicita l’intervention d’Otton: en 961, le vainqueur des Hongrois franchissait les Alpes, était à nouveau proclamé roi d’Italie à Pavie, gagnait Rome où, en février 962, Jean XII le couronnait «Empereur et Auguste». Il ne s’agissait nullement de la fondation du Saint Empire romain germanique – expression qui n’apparut qu’au XVe siècle – mais de la restauration de l’empire de Charlemagne, ce que confirmait l’attitude d’Otton à l’égard du pape: il lui renouvela les privilèges jadis accordés par Charlemagne et Louis le Pieux, mais en lui imposant un contrôle qui alla bientôt jusqu’à la déposition de Jean XII, remplacé par Léon VIII en 963. On retrouve là une manifestation de césaropapisme hérité, comme l’Empire, des Carolingiens.

Le titre impérial n’apportait pas à Otton une simple satisfaction d’amour-propre, mais la base d’une politique déterminée de mainmise sur l’Italie où l’empereur obligea même Byzance à compter avec lui; ainsi, l’héritier de l’Empire, Otton II, épousa en 972 la princesse Théophano.

La renaissance ottonienne

La chaîne des temps semblait renouée: en Otton, les clercs célébraient un nouveau Charlemagne. Dans la sécurité retrouvée, la vie religieuse connaissait un nouvel essor, aussi bien dans les vieux monastères de Fulda, Corvay, Saint-Gall, Tegernsee, que dans les abbayes nouvelles de Brogne, Saint-Vanne de Verdun et surtout Gorze, fondée en haute Lorraine vers 933, et qui fut le pendant de Cluny dans l’Empire. Sous le règne d’Otton II, prince lettré, se développe une brillante renaissance artistique et intellectuelle. C’est alors que le moine Widukind de Corvey écrit son Histoire des Saxons et qu’est composé, sans doute par un moine de Saint-Gall, le Waltharius , premier type encore fruste des chansons de geste.

L’Allemagne entre dans le circuit des relations commerciales avec la France, l’Angleterre, les Slaves, Byzance et le Levant même, par l’intermédiaire de l’Italie. Cologne, Ratisbonne, Magdebourg, Slesvig sont le siège de ces échanges internationaux. Les activités agricoles continuent d’occuper la masse de la population, dont le niveau de vie s’améliore très lentement, grâce aux progrès de la colonisation en Bavière, en Autriche, et à l’allègement des charges qui pèsent sur les paysans. L’exploitation des gisements argentifères du Rammelsberg permet en même temps le développement, encore faible, de l’économie monétaire.

La durée de cette restauration dépendait de la valeur personnelle des Ottoniens. Sous Otton III, pendant quelques années, à partir de 996, un empire romain chrétien sembla en passe de s’instaurer sous le double gouvernement des papes Grégoire V puis Sylvestre II, et de l’empereur. Celui-ci, plus romain et même byzantin qu’allemand, cultivé, parlant le grec et le latin, poussa à l’extrême la politique ottonienne de liaison du pouvoir politique avec l’Église; mais, en s’installant à Rome, il s’était coupé de la Germanie, base de sa puissance. Il mourut dès 1002. Sans aller aussi loin, le successeur d’Otton III, le duc de Bavière Henri II (1002-1024), n’en sacrifia pas moins les intérêts germaniques à la tentation d’une politique italienne et à la réforme de l’Église.

La dynastie franconienne ou salienne

Que l’action en Italie fût devenue une donnée essentielle de la politique allemande, le règne du successeur d’Henri II, le Franconien Conrad II (1024-1039) en apporta la preuve. Moins sensible aux menaces pendantes en Allemagne qu’aux événements d’Italie, où la mort d’Henri II avait déclenché une explosion de fureur contre la domination germanique, Conrad se hâta de se faire reconnaître roi d’Italie (1026), puis empereur à Rome (1027). De retour en Allemagne, il triompha de toutes les difficultés, rétablit la puissance royale, refoula les Polonais au-delà de l’Oder et leur imposa, ainsi qu’aux Tchèques, sa suzeraineté. Il étendit son autorité à un nouvel État, le royaume de Bourgogne, que lui légua, en 1032, son dernier roi, Rodolphe III. Ce legs étendait, au moins théoriquement, l’influence de la royauté germanique au-delà de la Saône et du Rhône, jusqu’au revers oriental du Massif central. En même temps, Conrad semble avoir fait évoluer la conception de la royauté, personnelle sous les Otton, publique désormais, liée à l’idée d’État.

L’apogée de la dynastie franconienne correspond au règne du fils de Conrad, Henri III (1039-1056). Il lutta victorieusement contre les princes allemands, affermit son autorité dans le bassin rhodanien, joua un rôle actif en Occident, fit reconnaître sa suzeraineté par les pays slaves (Poméranie, Pologne, Bohême) comme par la Hongrie, et tint l’Italie par l’intermédiaire du marquis de Toscane, Boniface († 1052).

La querelle des Investitures

L’Église manifestait un désir accru d’affranchissement, sous l’influence d’une série de mouvements développés en Lorraine, en Bourgogne (Cluny), en Lombardie. Aucun résultat n’était encore visible, car, de 1046 à 1054, l’empereur nomma les papes qu’il voulut, choisis parmi les prélats germaniques, tandis qu’il disposait à sa guise des évêchés et des abbayes. Il désigna, d’ailleurs, à tous les échelons, tant sa piété était réelle, des hommes probes et instruits pris dans le parti de la réforme. Mais l’Église ne pouvait plus accepter un système fondé sur la simonie, même si l’action personnelle de l’empereur en était exempte, car elle entraînait la confusion du spirituel et du temporel; et les zélateurs de la réforme estimaient cette confusion aussi détestable que la simonie elle-même. Le péril était à tous les degrés: l’extension de l’Eigenkirche des seigneurs et la multiplication des églises paroissiales développant une catégorie de clercs dont la vie ne différait guère de celle des laïcs. L’église restait la propriété du seigneur qui l’avait bâtie, le desservant était son serviteur, le «patron» pouvait faire ce qu’il voulait du prêtre comme du bâtiment. Ces clercs semblent avoir été souvent mariés, et se transmettaient le bénéfice de père en fils. Comme, de leur côté, les évêques, qui vivaient plus généralement dans le célibat, n’en étaient pas moins des hommes du monde, un nouveau style de vie n’avait aucune chance de s’imposer au clergé. Les réformateurs prônaient donc, à la base l’abolition de la simonie et du mariage des clercs, au sommet le renforcement de la suprématie pontificale, indispensable au triomphe de la réforme. La crise dans les relations entre l’Église et l’Empire éclata dès la mort d’Henri III. Lui succédait, en 1054, un enfant, Henri IV, alors que la papauté, libérée par le décret de Nicolas II confiant l’élection pontificale aux cardinaux (1059) passait aux mains de Grégoire VII (1073-1085).

Mais comme Henri IV, parvenu à l’âge d’homme, entendait conserver le contrôle de l’Église, essentiel pour la royauté germanique, le conflit éclata: ce fut la querelle des Investitures (1076-1122). Elle se termina par le compromis de Worms, entre Calixte II et Henri V: l’empereur renonçait à l’investiture des évêques et des abbés «par la crosse et par l’anneau», réservée à l’autorité religieuse, reconnaissait la liberté des élections et ne conservait que l’investiture du temporel.

Vue sous l’angle allemand, cette période peut être caractérisée, selon l’expression de Louis Halphen dans L’Essor de l’Europe , par un «siècle d’anarchie», durant lequel, «isolée entre des princes toujours prêts à se soulever et des évêques qui allaient en nombre croissant prendre leur mot d’ordre auprès d’un pape hostile, la royauté allemande connut une situation tragique». Le long règne d’Henri IV (1056-1106) fut une succession de crises, durant lesquelles il ne dut son trône qu’à des prodiges d’habileté et de courage, et qu’encadrent en quelque sorte son humiliation à Canossa, en 1077, et sa mort dans l’abandon en 1106, après les révoltes successives de ses fils Conrad et Henri V.

Au terme de cette crise, on était arrivé, dans un monde gagné aux idées et aux pratiques féodales, à distinguer le spirituel et le temporel; progrès décisif pour l’Église, mais grave échec pour la royauté germanique telle que l’avait organisée Otton Ier. S’il ne pouvait plus autant compter sur l’Église, Henri V (1106-1125) ne pouvait, pas plus qu’autrefois, s’appuyer sur les princes laïcs, plus forts que jamais et en rébellion constante, ni même sur la moyenne et petite féodalité qui achevait de s’affranchir et de s’organiser en une classe distincte.

L’empereur ne pouvait plus compter que sur ses propres domaines et sur leur agrandissement, nouveau motif de poursuivre une grande politique italienne par la mainmise sur les biens de la comtesse Mathilde de Toscane.

Progrès de la féodalité allemande

Ce n’était là qu’une piètre compensation à la quasi-indépendance acquise par les princes allemands. Ceux-ci possédaient domaines, avoueries d’églises, villes aux fonctions économiques, revenus, justice. Cela leur permettait d’avoir vassaux et ministériaux et d’acquérir la souveraineté princière (Landesherrschaft ). Cette évolution se fit en partie contre la royauté, en partie aussi avec son accord durant la lutte des Investitures. Non seulement la Querelle fournit des armes à l’aristocratie contre les souverains, mais elle réveilla l’antique conception germanique de l’identité d’origine entre pouvoir royal et pouvoir aristocratique, légitimant celui-ci et faisant du roi «le premier parmi ses égaux».

Parallèlement, sous l’influence des idées clunisiennes, l’abbaye de Hirsau, qui avait adopté en 1079 les usages de Cluny, et les nombreux monastères qui s’y rattachèrent étaient libérés de tout contrôle royal et épiscopal. De là naquirent de nouvelles seigneuries ecclésiastiques qui ne devaient aucune allégeance au roi, raison supplémentaire de déclin pour le pouvoir royal.

2. Déclin de l’État, progrès économiques et sociaux (XIIe-XIVe siècle)

L’Allemagne connut, jusque vers 1150, un régime de royauté purement élective, à la merci des coalitions féodales; Welf (ou Guelfes) de Bavière, et Waiblingen (ou Gibelins) de Franconie s’affrontaient. Il faut attendre 1152 pour que le pouvoir impérial se rétablisse, avec l’avènement de Frédéric Ier Barberousse (1152-1190).

L’Allemagne dans la première moitié du XIIe siècle

Au début du XIIe siècle, la limite de l’Empire, comme celle du christianisme, restait, à peu de chose près, comme trois siècles plus tôt, sur l’Elbe et la Saale. Tous les efforts accomplis au Xe siècle par les Otton pour assujettir les territoires de l’Est s’étaient terminés par des échecs. La dynastie franconienne s’était désintéressée de ces régions. Le seul résultat de l’œuvre des Otton avait été la fondation de l’Église polonaise, qui avait d’ailleurs échappé à la tutelle allemande. Au cours des XIe et XIIe siècles, les princes polonais cherchèrent, de leur côté, à étendre leur influence sur les populations entre Oder et Elbe. La situation était comparable aux confins du Danemark, dont l’Église s’était elle aussi émancipée, les relations restant toutefois assez cordiales, du fait de la menace commune des Wendes.

Cependant, au début du XIIe siècle, de nouvelles conditions de pénétration allemande se précisèrent, avec un effort nouveau de christianisation, notamment en Poméranie et dans le Holstein, où l’évangélisation alla de pair avec l’arrivée des colons allemands. On parla dès lors de croisade, pour laquelle saint Bernard autorisa les Allemands du Nord à détourner celle prévue en Terre sainte; mais deux grosses armées, soutenues par les Polonais et les Danois, échouèrent piteusement devant les Liutices du Brandebourg et les Obodrites du Mecklembourg (1147).

Politiquement, la situation avait pourtant changé, durant le règne de Lothaire III, duc de Saxe (1125-1137). Il sut s’assurer, grâce aux biens étendus qu’il possédait dans ce pays, une autorité dont ses prédécesseurs n’avaient pas joui, obtenant la soumission des princes obodrites et poméraniens. Il réorganisa l’Est allemand: il avait déjà concédé, en 1110, le comté de Holstein à Adolphe Ier de Schauenbourg, dont le fils allait fonder Lübeck. Ensuite il conféra la marche du Nord à Albert l’Ours, qui en commença la conquête dès 1134. Enfin, par le mariage de sa fille au Welf Henri le Superbe, il reconnut à celui-ci le duché de Saxe, qui passa à leur fils, Henri le Lion, en 1142. Ainsi étaient constituées les trois dynasties qui allaient donner tous leurs soins à la colonisation allemande à l’est.

Mais le facteur décisif du succès allemand fut la migration par vagues, du XIIe au XIVe siècle, de centaines de milliers d’Allemands poussés par le surpeuplement de l’Ouest, la raréfaction des terres disponibles, le morcellement excessif des tenures, le désir d’affranchissement. Saxons, Westphaliens, Rhénans, Hollandais, Flamands, Franconiens y participèrent, attirés par la promesse de recevoir des terres et mus par le désir de s’enrichir: la première vague, dès le XIIe siècle, se dirigea surtout vers le Holstein et le Brandebourg, où la fondation de villes marchandes accompagna l’occupation du sol par les paysans.

Le mouvement urbain prenait d’ailleurs de plus en plus d’ampleur en Allemagne. Les villes déjà anciennes, qui remontaient à l’époque romaine, se développaient, comme Cologne, «mère des villes allemandes», en plein essor après les invasions normandes, ou Augsbourg. Dans les villes plus récentes, nées de la réunion d’une cité ecclésiastique ou laïque et d’un établissement marchand, comme Magdebourg, Goslar, Brême, Erfurt, apparaissait une communauté de bourgeois en possession de fonctions administratives assez importantes. Le développement des villes était lié à celui du commerce septentrional, dans la Baltique et la mer du Nord. Mais la part des Allemands dans ce trafic restait assez modeste au début du XIIe siècle, celle des Scandinaves demeurant prépondérante: Norvégiens à l’Ouest, surtout dans la mer du Nord, mais aussi dans la Baltique, transporteurs de poisson séché, de peaux et cuirs, de beurre salé, de bois de construction; Gotlandais à l’est, dont la prépondérance navale et commerciale était devenue incontestable depuis leur conversion au christianisme (XIe s.), et qui étaient les intermédiaires obligatoires du commerce avec la Russie. À leurs côtés, le rôle des Flamands, en pleine expansion dans la mer du Nord, en Angleterre, dans les bassins du Rhin et de la Moselle, était important; celui des Frisons était en régression, peut-être à cause de leur répugnance à la vie urbaine, à un moment où les villes devenaient le moteur essentiel de l’activité économique. Cependant, marine et marchands allemands commençaient à jouer un rôle dans le commerce du Nord, surtout ceux de Cologne qui exportaient vins du Rhin, articles de métal et armes, et importaient laine, métaux et produits alimentaires. La flotte de Cologne n’est pas négligeable, ce qu’atteste sa participation aux croisades, par exemple en 1147, quand ses bateaux allèrent rejoindre les escadres flamandes et anglaises qui prirent Lisbonne avant de gagner la Terre sainte. Les autres ports allemands du Nord étaient Brême et Sleswig, préfiguration de Lübeck. Dans l’intérieur, une certaine activité régnait, grâce aux minerais de cuivre et d’argent du Harz, qui avaient favorisé le développement de la métallurgie à Goslar, et grâce au sel du Lunebourg, transporté jusqu’en Rhénanie, ce qui explique le développement du centre de batellerie et de trafic de Magdebourg.

Frédéric Barberousse tente de restaurer l’État

La situation était difficile pour le nouveau roi: depuis la mort d’Henri V en 1125, le souverain n’avait plus guère de pouvoir réel que dans ses propres domaines. Sitôt Frédéric installé, la royauté ressuscita, et l’on devait rapidement s’apercevoir que le programme annoncé par Frédéric au pape Eugène III, de «rétablir dans sa force et dans son excellence première la grandeur de l’Empire romain», n’était pas une affirmation gratuite.

En Allemagne, Frédéric reprit en main le pouvoir, revendiquant et récupérant les biens royaux usurpés, faisant la chasse aux seigneurs qui s’étaient arrogé sans titres droits et taxes, rappelant à l’ordre les fauteurs de troubles, faisant montre d’habileté par son rapprochement avec le Welf Henri le Lion. (Henri avait déjà obtenu de Conrad, en 1142, restitution de la Saxe; il reçut la Bavière en 1155, l’Autriche en étant séparée et érigée en duché pour dédommager les Babenberg.)

Même redressement en ce qui concerne l’Église: le roi, par une interprétation audacieuse du concordat de Worms, prétendait intervenir souverainement dans les élections épiscopales, chaque fois qu’il y avait désaccord entre les électeurs, et refusait obstinément l’investiture du temporel à qui lui déplaisait. Ainsi Frédéric arriva-t-il à imposer sa volonté face aux électeurs à Augsbourg (1152) et à Worms (1153), face au pape à Magdebourg (1154).

Mais pour Frédéric Ier, héritier de la tradition ottonienne et franconienne, l’Allemagne n’était qu’un point de départ; sa vraie patrie était l’Italie, sa capitale Rome; il était l’héritier des César et des Auguste, qui jadis avaient fait de Rome le centre du monde. Pour récupérer l’autorité perdue, Frédéric gagna, dès 1154, l’Italie, où ses indociles sujets durent être soumis par quelques démonstrations brutales, y compris les Romains soulevés par Arnaud de Brescia, contre qui l’appelait le pape Adrien IV. Frédéric fut couronné à Saint-Pierre en 1155, mais dut aussitôt battre en retraite, au milieu d’un pays hostile. L’empereur n’était pas homme à se laisser intimider, d’autant qu’il eut la bonne fortune d’avoir pour bras droit, comme chancelier, un prélat cultivé, connaisseur en droit, Rainald de Dassel, qui le poussa dans la voie de la rupture avec la papauté. Frédéric et Rainald étaient convaincus que, pour résister à la politique impériale, la papauté était prête à s’allier avec tous ses adversaires, villes italiennes et monarchie sicilienne. La crise éclata à la diète de Besançon (1157), où les partisans de l’empereur s’opposèrent à ceux du pape conduits par le cardinal Roland Bandinelli, à propos d’une lettre dans laquelle le pape reprochait à l’empereur d’oublier ses «bienfaits», que la chancellerie impériale affecta de comprendre comme les «fiefs» du Saint-Siège. Les légats durent déguerpir; c’était la rupture avec la papauté, le début de la «lutte du Sacerdoce et de l’Empire».

À l’issue de cette longue lutte, l’empereur dut reconnaître la pleine souveraineté du pape sur le patrimoine de saint Pierre et les droits des cités lombardes en matière administrative et financière. En revanche, il fit payer cher au duc de Saxe et de Bavière, Henri le Lion, son attitude d’indépendance pendant la crise. Il se débarrassait ainsi du seul adversaire à sa taille qu’il pût rencontrer en Allemagne. Mais, en préférant la lutte contre les Slaves du nord-est au mirage italien, Henri le Lion n’avait-il pas raison?

Henri VI et le mirage de l’universel (1190-1197)

Par sa fin tragique dès le début de la troisième croisade, Frédéric Barberousse laissa le pouvoir à son fils, Henri VI. Ambitieux, sans scrupule, celui-ci travailla à s’assurer l’Italie du Sud. Au demeurant, ses projets étaient plus vastes, à l’échelle européenne. Lorsque l’empereur byzantin Isaac II Ange fut renversé en 1195, Henri décida de prendre la croix, pour s’emparer de Constantinople après avoir reconquis Jérusalem. Il aurait ainsi recréé à son profit le dominium mundi . Restait à assurer l’hérédité de la royauté et de l’Empire dans sa famille, en échange de l’hérédité de tous les fiefs concédés aux seigneurs laïcs et de la suppression du droit de dépouilles accordé aux prélats. La mort mit fin à son règne et à ses grands projets (1197).

Les structures féodales à la fin du XIIe siècle

Les pratiques féodo-vassaliques, nées entre Loire et Meuse, se répandirent en Francia orientalis avec un certain décalage dans le temps, qu’accentua encore la séparation entre les deux royaumes. Mais le champ d’application de ces pratiques s’était étendu aux fonctions publiques, notamment à la plus importante, celle des comtes qui, après avoir tenu du roi des biens en bénéfice, en vinrent, dès le IXe siècle, à tenir en bénéfice leur fonction même, l’honor comtal. Celui-ci devint héréditaire, ce qui contribua rapidement à ruiner la monarchie carolingienne en France. Si les grandes lignes des institutions féodales se trouvaient dégagées en France dès la seconde moitié du IXe siècle, il n’en fut pas de même en Allemagne, où leur pénétration fut d’ailleurs variable selon les régions. Les plus anciennement incorporées au regnum Francorum , Franconie, Alamanie, Bavière, les connurent assez tôt, la Saxe plus tardivement, la Frise pratiquement pas. En plein milieu du XIIe siècle, un bon observateur, l’évêque de Freising, Otton, oncle de Frédéric Ier, notait que des coutumes françaises, telles que le traitement préférentiel accordé au fils aîné dans la transmission des fiefs, l’hommage que lui rendaient les cadets considérés comme tenant de lui leur part, combinaison du droit d’aînesse et du partage avec hommage, ne se rencontraient pas en Allemagne. Avec le temps, les relations féodo-vassaliques allemandes n’en avaient pas moins fini par ressembler aux françaises. Des différences subsistèrent pourtant, issues des divergences de mentalité, comme une certaine prévention allemande à l’égard de l’hommage, qui semblait porter atteinte à la noblesse et à la liberté, l’accent mis dans le fief sur l’élément réel, plutôt que sur l’élément personnel, l’attachement au symbolisme de l’investiture et la désaffection à l’égard des actes écrits, la longue persistance des vassaux sans fief, enfin, la répugnance des vassaux envers les services humbles, ceux-ci étant assurés en Allemagne par les ministeriales (catégorie de non-libres qui, menant la vie chevaleresque – on les a appelés les chevaliers-serfs – finit par entrer dans la noblesse).

Alors qu’à partir de Philippe Auguste, la monarchie capétienne tendit à se développer en tant que royauté administrative, dotée d’agents rémunérés et de finances, en Allemagne, l’évolution fut radicalement différente. À vrai dire, aux origines de la dynastie ottonienne, il semble que les ducs des duchés nationaux aient repris leur duché en fief du nouveau roi Henri Ier. La très faible autorité exercée par ce dernier n’avait d’autre source que l’engagement féodo-vassalique: l’Allemagne semblait devoir se dissocier en duchés pratiquement indépendants. Si elle ne suivit pas cette voie, ce fut grâce à l’énergie et au génie politique d’Otton Ier: celui-ci reconstitua la monarchie germanique sur le modèle carolingien et, pour pallier le danger provenant de l’hérédité déjà acquise des fonctions, prit appui sur l’Église allemande, ainsi associée à l’administration et au gouvernement du royaume, mais étroitement soumise. Le système fut compromis par la querelle des Investitures et, l’autorité monarchique étant en péril, Frédéric Ier chercha à la reconstituer sur la base des relations féodo-vassaliques, ce qui ressort du procès et de la condamnation de son vassal Henri le Lion, dont il confisqua les fiefs en 1180. La construction frédéricienne correspondait, d’ailleurs, à l’évolution de la société allemande dans ses couches supérieures, traduisant une transformation militaire qui fut beaucoup plus lente à l’est qu’à l’ouest du Rhin: la prédominance de la cavalerie dans les armées, totale à partir des croisades (fin du XIe-XIIe siècle). Cependant, la féodalisation des fonctions publiques ne fut que partielle, et finalement défavorable à l’Allemagne, car elle fut à l’origine des principautés territoriales qui se consolidèrent au XIIIe siècle: la royauté allemande allait revêtir la forme d’une monarchie féodale aux liens très lâches, au moment où, en France, se consolidait la monarchie administrative des Capétiens.

Agriculture et colonisation

Presque toute la population vivait encore, au XIIe siècle, de l’agriculture; et les paysans menaient une vie très rude. Leur régime alimentaire était peu varié, même en l’absence de toute famine ou disette: du pain de seigle, peu de viande, du poisson, quelques fruits, plus souvent des baies sauvages, de l’eau plus couramment que de la bière, le vin n’apparaissant que rarement, en des secteurs limités (vallées du Rhin et de la Moselle). Les maisons, sans fenêtres, étaient plutôt des tanières, que les animaux partageaient avec la famille, et dont le mobilier était des plus sommaires. Il est difficile de prétendre que la période des XIIe-XIIIe siècles apporta de nettes améliorations à la condition paysanne. La distinction entre liberté et servitude restait aussi nette qu’aux temps carolingiens. Les coutumes rédigées au milieu du XIIIe siècle mettent toujours à part les paysans libres. Ils n’étaient pas confondus avec les nobles, qui échappaient aux exactions, encore moins avec les chevaliers qui possédaient seuls, depuis le milieu du XIIe siècle, le privilège de porter les armes; mais ils continuaient à relever uniquement des tribunaux comtaux, devaient assister aux assemblées publiques de justice, où les plus riches étaient astreints à siéger comme échevins, étaient mobilisés en cas de péril (service longtemps exigé en Allemagne du Nord, à la limite du monde slave), payaient au représentant du roi, comte, margrave ou évêque, le cens, signe de liberté, dû par les défricheurs de la Thuringe, des polders flamands et des bords de l’Elbe. Quant aux autres hommes, les puissants revendiquèrent sur eux des droits que la dégradation continue de l’autorité royale renforça singulièrement au XIIe siècle: c’étaient soit des esclaves, «nourris», «prébendiers», «esclaves de la maison», logés dans la demeure du maître ou à proximité, prenant au réfectoire ou dans les greniers leur nourriture, ne possédant rien en propre et soumis à l’entier pouvoir du maître; soit des «esclaves mangeant leur propre pain», vivant sur un manse qu’ils exploitaient et qui entretenait leur famille, servant de leurs corps, mais moins proches du maître et moins dépendants; soit enfin des gens de condition libre entrés dans la familia par souci de protection ou de salut, «hommes (et femmes) de l’autel» dont certaines abbayes bavaroises comptaient plusieurs milliers et qui, sans être astreints au service de corps, n’en appartenaient pas moins au patrimoine du maître.

Cependant, des moyens d’amélioration de la vie paysanne étaient désormais offerts, qui n’existaient pas au Xe siècle. À la surpopulation qui menaçait les campagnes, trois remèdes furent apportés: l’intensification des cultures, la conquête des terres vierges, l’émigration. L’œuvre de colonisation fut menée par des seigneurs éclairés, voire des spéculateurs fonciers, dans les régions nouvellement conquises d’Allemagne orientale. Les pionniers étaient souvent des moines, notamment cisterciens, qui acquirent une grande popularité dans ces régions. Ces tenants d’un monachisme rénové avaient mis l’accent sur le travail manuel qui, pour eux, était chose digne et belle; il leur fallait gagner leur vie dans des conditions difficiles, les terres qui leur étaient offertes étant parmi les plus médiocres. Sous leur direction ou celle des seigneurs, les colons conquirent à la culture – en même temps qu’au germanisme – les forêts de l’Europe centrale et les landes de l’Europe baltique. Pour les attirer, les propriétaires fonciers avaient mis au point des formules de chasement adaptées aux nouvelles conditions: plus avantageuses sur le plan économique, elles s’assortissaient d’une liberté inhabituelle. Le cas le plus typique fut celui du Holstein du comte Adolphe qui venait de s’emparer, après une guerre très dure, de la région orientale où il rebâtit en 1143 le castrum de Lübeck. Le pays ayant été abandonné par ses habitants, il envoya des messagers dans toutes les directions, en Flandre et en Hollande, à Utrecht, en Westphalie, en Frise, pour inviter quiconque manquait de terre à venir avec sa famille pour recevoir un bon et grand domaine, fertile, bien pourvu en poissons, viande et gras pâturages pour le bétail.

En outre, avec Lübeck, le nouveau territoire était doté d’un organisme qui allait rapidement s’affirmer comme l’un des grands centres commerciaux de la Baltique, écoulant l’excédent de la production des terres nouvelles vers des marchés lointains, recevant pour l’hinterland les denrées qu’il ne pouvait pas produire et quelques produits de luxe susceptibles de compenser la peine des paysans.

Frédéric II (1197-1250) et la fin de l’idée d’empire universel

À défaut de faire admettre l’hérédité de la couronne impériale, Henri VI avait du moins pu faire élire, en 1196, Frédéric-Roger «roi des Romains», expression qui avait prévalu dès l’époque d’Henri IV et Henri V pour désigner le successeur élu de l’empereur. Que valait l’engagement, face au péril d’une longue minorité? Unanimes pour n’en pas tenir compte, les princes ne s’entendirent pas quant au roi à se donner, les uns tenant pour le fils d’Henri le Lion, Otton de Brunswick, soutenu par le roi d’Angleterre, les autres, plus nombreux, se prononçant en faveur du frère d’Henri VI, Philippe de Souabe (mars 1198). Cette division était funeste pour l’Allemagne et l’Empire, d’autant qu’au même moment était élevé à la papauté Innocent III. Les circonstances allaient permettre à celui-ci de rendre le pouvoir pontifical indépendant en Italie, de disposer de la couronne impériale, d’étendre sa prééminence sur la chrétienté tout entière.

Après avoir reconnu Otton comme empereur, Innocent III fut amené à soutenir contre lui le jeune Frédéric-Roger. Celui-ci, si paradoxal que cela puisse paraître pour un Hohenstaufen, devint le candidat de l’Église. L’appui du pape lui permit de se faire des partisans dans la région rhénane, où il se fit couronner à Mayence (1213), et un allié, Philippe Auguste, dont la victoire de Bouvines (1214) mit un terme à la puissance d’Otton IV. Celui-ci mourut peu après, en 1218, abandonné de tous. Frédéric fit élire son fils Henri roi des Romains et reçut lui-même, sous le nom de Frédéric II, la couronne impériale du pape Honorius III. Il lui renouvela le serment d’allégeance envers le Saint-Siège, confirma le tribut annuel de 1 000 pièces d’or dû par la Sicile, et promit de prendre la croix; autant de gages de bonne foi auxquels crut le pape, et qui permirent à Frédéric II de consolider son pouvoir (1220).

La Sicile fut l’objet de tous ses soins car il entendait faire de ce pays riche la base de sa puissance: par un système d’autorité et de dirigisme, le royaume devait fournir à l’empereur les moyens matériels de mener à bien sa politique.

Pareille méthode était impossible en Allemagne, où triomphait la monarchie féodale et où les compétiteurs à la royauté avaient dû donner des gages aux uns et aux autres, à l’Église, aux princes laïcs, aux seigneurs, aux villes. Frédéric II s’appuya plutôt sur les deux premières catégories. Il accorda aux princes ecclésiastiques – 90 évêques et abbés royaux – la Confoederatio cum principibus ecclesiasticis de 1220, par laquelle il confirmait l’abandon des droits de dépouilles, ainsi que de toute influence dans les élections; il renonçait, en outre, à exercer dans leurs territoires la plupart des droits régaliens – construction de châteaux, tonlieux, monnayage –, et leur permettait de disposer librement des fiefs de leurs vassaux rebelles, s’interdisant par là cette action sur les arrière-vassaux qui devait être si profitable aux Capétiens. Aux princes laïcs, dont le nombre avait été rigoureusement délimité par Frédéric Ier en 1181, il donna le statutum in favorem principum de 1232 qui reconnaissait dans les princes les domini terrae , maîtres de la terre et de la justice, mesure de circonstance sans doute, mais que les princes invoquèrent ensuite comme fondement de leur souveraineté territoriale. Aussi Frédéric II n’eut-il, en Allemagne, d’autres difficultés que celle que lui suscita son fils Henri, par les mesures imprudentes que ce dernier voulut prendre en faveur des villes dans le dessein de s’opposer à son père. Frédéric finit par l’envoyer en captivité (1235) et lui substitua son second fils, Conrad.

Le pape Grégoire IX (1227-1241) ayant reconstitué contre lui la ligue lombarde, il la défit et imposa aux villes qui l’avaient formée un régime de centralisation monarchique. Mais l’asservissement de l’Italie du Nord menaçait trop l’indépendance du Saint-Siège: l’empereur fut excommunié. Frédéric prit alors une attitude d’hostilité marquée au pouvoir pontifical, persécuta les ordres mendiants qui en étaient le porte-parole, s’entoura de légistes qui, nourris de droit romain, considéraient le pouvoir impérial comme d’origine purement laïque. Frédéric II mourut en 1250, alors que son conflit avec la papauté s’était encore aggravé sous le pontificat d’Innocent IV qui l’avait déposé au concile de Lyon (1245). Cette mort marquait la fin d’une époque, celle d’une domination impériale sur l’Allemagne et l’Italie, rayonnant sur les rivages méditerranéens.

Le grand interrègne et les premiers Habsbourg (1250-1308)

Ni les derniers Hohenstaufen, ni leurs compétiteurs comme Guillaume de Hollande ne purent s’imposer, et les Allemands profitèrent de l’absence de pouvoir royal pour continuer à se désorganiser. L’interrègne, ouvert en 1250, se termina en faveur du chef de la maison de Habsbourg, Rodolphe Ier (1273).

La famille des Habsbourg, maîtresse d’un ensemble de domaines en Souabe – Aargau, où se trouvait le château de Habsbourg, et Brisgau – n’était pas assez puissante pour inquiéter ses rivaux. Mais les qualités personnelles de Rodolphe Ier (1273-1291) lui permirent d’assurer, sinon la transmission de la couronne royale dans sa maison, du moins la puissance territoriale de celle-ci. Le problème, c’était l’attitude d’Otakar de Bohême qui, proclamé duc d’Autriche après l’extinction des Babenberg, profita de la carence du pouvoir pour annexer la Styrie (1261), la Carinthie et la Carniole (1269), devenant ainsi, et de loin, le plus puissant prince du royaume. Déçu dans son espoir de recevoir la couronne germanique, il refusa de reconnaître Rodolphe qui, appuyé par les princes inquiets de sa redoutable expansion, le fit mettre au ban de l’Empire et prononça, en 1275, la confiscation de ses biens non patrimoniaux: en un an, Otakar dut se soumettre, abandonner ses acquisitions, tenir la Bohême en fief de Rodolphe. Dès qu’il le put, il chercha sa revanche, mais fut vaincu et tué à Dürnkrut (1278); Rodolphe bénéficia en la circonstance de l’aide du roi de Hongrie, qui appuyait ainsi le plus faible contre le plus fort. Ses domaines furent morcelés, les terres au-delà du Danube passant au Habsbourg qui eut l’habileté de laisser la Carinthie à son fidèle Meinhard de Görz, comte du Tyrol. Cette victoire augmenta considérablement le prestige de Rodolphe; mais la consolidation de sa puissance réveilla la méfiance des princes: ils refusèrent d’élire, en 1291, son fils Albert, comme roi des Romains. Du moins Rodolphe avait-il fondé la puissance territoriale des Habsbourg en leur assurant un établissement valable, l’Autriche.

À un prince puissant, les électeurs préférèrent Adolphe de Nassau. Son successeur fut, à nouveau, un Habsbourg, Albert, dont le meurtre, en 1308, entraîna pour un siècle l’éclipse de la famille, faisant reculer d’autant la solution du problème dynastique allemand.

3. Le temps des rinces (XIVe-XVIe siècle)

L’Allemagne des principautés

Avec la fin des Hohenstaufen, l’idée d’empire universel cessa d’apparaître comme projet réalisable, et l’Empire se restreignit territorialement à l’Allemagne. En effet, à la fin du XIIIe siècle, la plupart des territoires liés à l’Allemagne à l’ouest (royaume de Bourgogne-Provence) et au sud (royaume d’Italie) avaient cessé d’en dépendre. Seuls lui étaient demeurés les pays colonisés, à l’est jusqu’aux limites de la plaine hongroise et du bassin de l’Oder, au nord-est le long des côtes de la Baltique jusqu’au Niémen. Les agrandissements réels, par rapport au royaume de Germanie du Xe siècle, s’étaient donc effectués face aux Slaves, encore qu’il faille nuancer. Si le Brandebourg, la Lusace, la Misnie représentaient bien des gains, il demeura dans les limites de l’Empire des principautés tenues par des dynasties slaves: celles de Mecklembourg, restée aux descendants de Niklot, prince des Obodrites; de Poméranie, qui demeura aux Boguslavides jusqu’en 1637; de Silésie, morcelée entre plusieurs principautés (Piast jusqu’en 1526); de Bohême, où les Prémyzlides régnèrent jusqu’en 1306.

Bien qu’il fût toujours question de Saxe, Bavière, Souabe, Franconie, Lorraine, les anciens duchés nationaux de ces noms avaient disparu. Au milieu d’une multitude de territoires aux frontières enchevêtrées, la plupart de médiocre étendue, commençaient à se dessiner les nouvelles principautés territoriales constituées par les dynasties des Ascaniens (marche de Brandebourg, Saxe-Wittenberg et Saxe-Lauenbourg, Anhalt), des Wettin (Thuringe, Misnie), des Welf (Brunswick, Lünebourg), des Wittelsbach (Bavière et Palatinat du Rhin), ou par les chevaliers Teutoniques. Ces États se trouvaient dans l’Est, alors que les régions occidentales étaient plus morcelées. La division atteignait son maximum en Franconie et en Souabe: les Staufen y avaient consolidé le pouvoir ducal, mais leur chute marqua la fin du duché, d’autant que la résistance opposée par les nombreuses villes aux féodaux et la présence d’une noblesse relevant directement de l’empereur étaient particulièrement favorables à la prolifération des domaines territoriaux. L’Ouest était aussi la zone des grandes principautés ecclésiastiques: Cologne (dont dépendait le duché de Westphalie), Trèves, Mayence, Brême, Münster, Paderborn, Wurtzbourg, Bamberg, sans oublier les abbayes de Fulda, Corvey, Saint-Gall. D’autres principautés ecclésiastiques importantes se situaient à l’extrême-ouest, comme Utrecht et Liège, et au sud, telles Salzbourg et Trente. Si les États étendus étaient rares à l’ouest, c’était un secteur de civilisation ancienne où se trouvaient la plupart des villes, les unes «impériales», de tout temps soumises à l’empereur, ce qui leur assurait une indépendance à peu près complète du fait de la décadence du pouvoir central (Francfort, Nuremberg, Aix-la-Chapelle, Ulm), les autres «libres», anciennes cités épiscopales ayant acquis dans le périmètre urbain l’exercice des droits régaliens jadis dévolus aux évêques et devenues, sous la protection impériale, aussi indépendantes que les précédentes (Ratisbonne, Strasbourg, Bâle, Mayence, Cologne). Cependant, si elles jouaient un grand rôle dans la vie économique allemande, en plein essor le long des côtes du Nord et sur les axes de communication menant vers la France et l’Italie, aucune de ces villes, contrairement à ce qui se passait à la même époque en Italie, ne put étendre son autorité au-delà de sa banlieue pour devenir le centre d’une principauté territoriale. Certaines d’entre elles, par leur groupement, constituèrent toutefois une puissance originale, la Hanse.

Née au milieu du XIIIe siècle, organisée réellement en 1358, la Hanse jouit d’une situation privilégiée dans la Baltique à partir de 1370. Sa prospérité se maintient tout au long du XVe siècle, et elle en arrive à contrôler l’axe de commerce est-ouest, de Novgorod à Londres, auquel se rattachent des bretelles commerciales vers Lisbonne, la Méditerranée, l’Adriatique d’une part, vers la Scandinavie d’autre part. Les progrès du Danemark, de la Pologne, de la Russie d’Ivan III, feront cependant décliner rapidement sa position après 1450.

À cet ensemble d’États auxquels les constitutions de Frédéric II avaient attribué la souveraineté territoriale (Landeshoheit ), les institutions ne donnaient pas une organisation commune. La royauté germanique élective était aux mains des sept Électeurs, qui avaient fini par représenter, à eux seuls, le corps électoral le plus nombreux des premiers siècles. L’origine de la royauté rendait encore plus précaire son autorité, dépourvue de son principal moyen d’action depuis qu’elle avait abandonné sa domination sur l’église. Après l’extinction des Hohenstaufen, il ne fut plus question, pour elle, de prendre des mesures générales de législation, d’autant qu’elle ne possédait ni administration, à l’exception d’une chancellerie, ni armée, ni finances; son unique organe était la Diète à laquelle la royauté, toujours suspecte et souvent trop faible, ne pouvait imposer aucune décision conforme aux intérêts généraux de l’Allemagne.

Évolution de la seigneurie rurale

Le cadre de la vie paysanne restait la seigneurie rurale, avec d’importants contrastes entre les pays de colonisation de l’Est et les anciens terroirs de l’Ouest. Dans les premiers, grands seigneurs ecclésiastiques et laïcs s’étaient taillé d’immenses domaines évalués en milliers de Hüfen , tenures correspondant au manse et comptant chacune une dizaine d’hectares. C’est ainsi qu’au milieu du XIIIe siècle, comme le précise Jacques Heers, l’abbaye cistercienne de Leubus, en Silésie, avait reçu 5 000 Hüfen du duc de Grande Pologne, près de la Netze, et 900 du duc de Silésie, près de l’Oder. Moins riche en général, le Schlossgesessener Adel , «noblesse ayant des châteaux», installé par les margraves du Brandebourg pour défendre la frontière contre les Polonais, pouvait détenir des biens importants, comme les Wedel qui possédaient un fief de 60 villages et en obtinrent ensuite un autre de 5 000 Hüfen . On trouvait le même système dans l’est de la Bohême, sur le cours de la Moldau, où les Wittingonen étaient en compétition avec les grandes abbayes cisterciennes de Golkenkron et de Hohenfurth. Il n’empêche que ces vastes seigneuries foncières d’Allemagne orientale étaient des cas particuliers, liés au défrichement de contrées forestières étendues encore faiblement peuplées. Plus à l’ouest, où existaient jadis de grandes futaies de hêtres et de chênes, les passages d’hommes et de troupeaux avaient dégradé la végétation, la transformant en Niederwald , taillis dominés par quelques bouquets de grands arbres. Dans cette région, notamment dans ce qui est aujourd’hui la forêt de Teutoburg, entre Münster et Osnabrück, l’économie reposait sur les glands des chênes et l’élevage des porcs. Les paysans n’ensemençaient que de maigres champs temporaires. Le Hüfe n’y représentait pas une étendue déterminée, mais un droit d’usage pour un certain nombre de porcs. Tout le souci des communautés villageoises était de réglementer strictement les pâturages et les parcours, de fixer les déprédations éventuelles. C’était un exemple de civilisation forestière dans laquelle le bois d’œuvre était négligé et ne faisait l’objet d’aucun règlement.

Plus généralement, dans les anciens terroirs, régnait la seigneurie foncière de type courant, d’étendue assez modeste, où l’exploitation en faire-valoir direct avait reculé devant la perception de rente.

La maison de Luxembourg (1308-1437)

Après la mort d’Albert de Habsbourg en 1308, le pouvoir impérial fut à nouveau disputé entre divers compétiteurs jusqu’au triomphe de Charles IV de Luxembourg (1346-1378). Ce fut lui qui donna à l’institution impériale sa forme définitive, conforme au désir des princes allemands, par la Bulle d’or de Nuremberg (1356): celle-ci déclarait le pouvoir impérial indépendant du pape dont la confirmation était inutile, et mettait ainsi un point final à une vieille controverse. L’empereur était le suzerain de tous les fiefs impériaux, dont il investissait les princes, et détenait le pouvoir judiciaire suprême. Quant aux Électeurs, ils avaient rang de souverains, et le pas sur tous les autres princes d’Empire. Ils exerçaient sur leurs terres, non démembrables, transmises de père à fils aîné, la justice souveraine: la Bulle d’or confirmait une situation de fait qui, stabilisant le régime princier, interdisait la formation d’un pouvoir central.

Roi de Bohême, chef de la maison de Luxembourg, Charles IV voulut surtout, pour être souverain de fait, tirer sa force et ses ressources de grandes possessions territoriales. La Bohême prit de l’importance; Prague reçut, en 1347, une université, la première d’Allemagne; de nombreux monuments s’y édifièrent, qui en firent une des capitales européennes. À partir de cette base, par de longs efforts, Charles s’empara du Brandebourg en 1373, du haut Palatinat autour de Ratisbonne, de la Lusace qui fut réunie à la Bohême, et imposa la suzeraineté bohémienne aux duchés silésiens soustraits à celle de la Pologne, tandis qu’il érigeait le Luxembourg en duché. Le règne de Charles IV a marqué le terme de l’évolution de l’Allemagne vers une monarchie de type aristocratique, où le souverain s’efforçait de dépasser ses pairs par la puissance de son lignage.

La peste noire et ses conséquences

L’Allemagne fut atteinte, comme le reste de l’Europe, par la catastrophe: dès l’automne 1349, la peste faisait son apparition aussi bien en Prusse que dans la vallée du Rhin, où elle touchait Cologne en décembre 1349. L’année 1350 surtout fut terrible, l’épidémie atteignant son maximum d’intensité dans l’été; le Brandebourg fut frappé le dernier, au début de 1351. Il semble que l’Allemagne du Nord ait été une des régions d’Europe les plus éprouvées. Si les chiffres des chroniqueurs ne doivent pas être pris au pied de la lettre, ils témoignent pourtant du souvenir d’épouvante laissé par la peste. La ville la plus touchée semble avoir été Brême où l’on recensa 8 000 morts; certes, on ne connaît pas exactement la population de la ville, mais elle ne devait guère dépasser 12 000 à 15 000 habitants, si bien qu’on peut admettre une mortalité soit de moitié, soit des deux tiers. Dans l’ensemble des villes hanséatiques, le nombre des victimes semble avoir été rarement inférieur au quart de la population.

Il est facile d’imaginer les perturbations qui suivirent: déclin de la production agricole et artisanale, paralysie des transports, récession générale des affaires. Sur le plan financier, la peste suscita une crise, l’argent se raréfiant, le taux de l’escompte montant, les capitaux se détournant des entreprises commerciales au profit des rentes jugées plus sûres. Plus généralement, le dépeuplement de l’Allemagne occidentale arrêta la colonisation de l’Est, ou confirma un ralentissement déjà perceptible depuis le début du XIVe siècle. D’autant plus que des épidémies meurtrières se succédèrent tous les dix ou quinze ans. Cet arrêt fut très préjudiciable à l’expansion orientale du germanisme privé de l’afflux paysan qui faisait sa force. Dans ces pays neufs, aux sols pauvres, la désertion des terres cultivées causée par la grande peste suscita un renouveau de vitalité de l’institution seigneuriale: les seigneurs virent leur réserve s’accroître de toutes les terres abandonnées, notamment dans le Brandebourg, où la terre noble se trouvait encore vers 1375 nettement moins étendue que la terre paysanne, et où les hobereaux apparaissaient plutôt comme les «voisins» des paysans qui ne leur devaient pas la corvée. Les princes, pour obtenir les subsides des seigneurs, leur abandonnèrent alors les droits régaliens; les paysans passèrent sous l’entière domination des hobereaux qui les attachèrent à la glèbe et leur imposèrent de lourds services, nécessaires à l’exploitation de domaines démesurément agrandis. Par la défaillance de la puissance publique, une stricte servitude s’appesantit sur toute cette paysannerie des marches de l’Est, qui avait jusqu’alors connu une liberté plus large que partout en Europe.

L’évolution fut toute différente en Allemagne de l’Ouest. Même dans les secteurs forestiers, les seigneurs purent, tout au plus, renforcer leur domination sur les bois qu’ils cernèrent de haies et, leur valeur ne cessant de croître, interdirent aux paysans. La puissance seigneuriale transforma les familles qui, jusqu’alors, tiraient le plus clair de leurs ressources de la forêt, en groupes de véritables cultivateurs établis sur des champs fixes: par la concentration des anciens écarts, l’habitat se groupait en gros villages, autour desquels le défrichement allait créer des terroirs très homogènes.

Apogée et déclin des Luxembourg

Venceslas succéda sans difficulté à Charles IV en 1378. La puissance de la maison de Luxembourg semblait à son apogée. Mais Venceslas était incapable de dominer l’Allemagne, où l’anarchie princière s’aggravait, renforcée par le Grand Schisme. Venceslas, comme le roi de France, soutenant le pape d’Avignon, le pape de Rome, Boniface IX, travailla à l’évincer au profit du comte palatin Robert de Wittelsbach (1400-1410). Après la mort de celui-ci, les Électeurs se rallièrent au frère de Venceslas, Sigismond, tandis que lui-même se retirait en Bohême qu’il conserva jusqu’à sa mort (1419).

Le règne de Sigismond (1411-1437) fut difficile. Jusqu’alors roi de Hongrie, il s’était surtout fait remarquer par son zèle catholique. Il sut mettre fin au Grand Schisme par le concile de Constance (1414). L’Allemagne, cependant, était agitée par de nouvelles hérésies. Parmi celles-ci, le hussitisme s’était répandu en Bohême, sous l’ardente prédication de Jean Hus, à la fois comme tentative de réforme de l’Église et comme sursaut du nationalisme tchèque contre l’influence germanique, qui semblait aller de pair avec celle de l’Église romaine. La guerre hussite dura vingt ans (1415-1436). La paix fut rétablie au prix de terribles dévastations et de l’arrêt de l’expansion allemande. À la même époque les chevaliers Teutoniques subissaient la défaite de Grünwald (1410). C’est un aspect capital du règne de Sigismond, qui pensa restaurer son prestige en se rendant à Milan pour recevoir la couronne du roi d’Italie (1431), puis à Rome celle d’empereur (1433). À son retour, il tenta de procéder à une réorganisation de l’Empire par la Restauratio Sigismundi , qui prévoyait la création de cercles administratifs regroupant les innombrables seigneuries, et d’une police assurant la paix publique; ces réformes heurtaient l’esprit d’indépendance et ne reçurent aucune application.

Sigismond n’avait qu’une fille unique, Élisabeth, mariée en 1422 à Albert de Habsbourg, duc d’Autriche, qu’il reconnut pour son successeur en Bohême et en Hongrie.

L’Allemagne au XVe siècle

En fait, le règne d’Albert II (1437-1439) fut une courte transition, d’autant que, parmi les Habsbourg, Albert était l’un des moins pourvus, et qu’il fut plutôt héritier des titres et des biens de la maison de Luxembourg. Peu de temps après sa mort, le pouvoir effectif passa, en Bohême, à un seigneur tchèque, Georges de Podebrady, qui devint roi (1457-1471) et, en Hongrie, à un seigneur hongrois, Jean Hunyadi, dont le fils, Mathias Corvin, fut roi de 1456 à 1490. Ainsi deux royaumes qui semblaient, sous la dynastie de Luxembourg, en passe de devenir des annexes de l’Allemagne, s’en éloignaient au moment où, plus au nord, la Pologne imposait à la Prusse teutonique sa suzeraineté et, en 1466, obtenait par Dantzig un débouché maritime.

L’Allemagne connut bientôt une guerre civile permanente, plus particulièrement en Franconie, où les villes groupées autour de Nuremberg luttaient contre Albert-Achille de Hohenzollern, maître du Brandebourg, en Westphalie, où les cités guerroyaient contre l’archevêque de Cologne, en Souabe, où les nobles, groupés dans la ligue «du bouclier de saint Georges», s’efforçaient de mater leurs sujets paysans. Frédéric III de Habsbourg (1440-1493) restait à l’écart de ces difficultés; en fait, dès 1486, son fils Maximilien, élu roi des Romains, avait pris la direction des affaires: c’était déjà un prince puissant, car il avait épousé en 1477 Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, et put conserver la plus grande part de l’héritage bourguignon.

L’économie agricole

Comme l’a montré F. Mauro dans son tableau du XVIe siècle, la production agricole intéressait surtout les plaines ou certains plateaux de faible altitude, la montagne étant le domaine de la forêt et de l’élevage; les vallées étaient toutefois cultivées plus haut qu’aujourd’hui. Partout dominaient des champs ouverts. Si la propriété était tantôt communautaire (forêts, landes, prés d’altitude), tantôt individuelle (champs, jardins), l’exploitation, elle, était toujours communautaire. L’assolement triennal avec jachère donnait à chacun une parcelle dans chaque sole. Il reposait sur la culture du froment dans les pays calcaires, sur celle du seigle, alternant avec l’avoine et l’orge, dans les zones siliceuses. L’élevage était peu important, le blé restant la base de la nourriture. Les porcs vivaient des glands de la forêt, qui fournissait aussi le bois de construction et de chauffage. Aux cultures vivrières s’ajoutait celle de quelques plantes industrielles, houblon en Alsace, pastel en Thuringe.

C’est là ce que l’on rencontrait essentiellement du Rhin à l’Elbe, même dans la plaine du Nord où les croupes baltiques dont le sol – alluvions glaciaires et terrains sableux – était plus pauvre. Dans le sud, au relief tourmenté, les vallées, riches de leurs fonds cultivés, leurs terrasses, leurs coteaux, s’ajoutaient aux ressources des versants forestiers et des prés d’altitude. Cette forme d’agriculture entraînait un habitat en gros villages concentrés autour des églises. Cependant, surtout à l’est de l’Elbe, on trouvait une autre disposition: la colonie forestière, née du défrichement de la forêt, aux maisons alignées le long d’une route ou d’un fleuve, avec derrière chacune d’elles, le champ correspondant.

À l’est, l’économie céréalière dominait, liée à l’essor des villes et de l’économie marchande. Cette même influence urbaine explique l’apparition, dans l’ouest, d’un paysage de bocage, où l’élevage du porc disparaît devant l’élevage du bovin, pour la vente du lait, du beurre et du cuir.

Le développement urbain

À côté des cités de la Hanse, les villes de l’Allemagne moyenne et méridionale sont le siège d’un véritable essor industriel, lié au commerce d’exportation des métaux et des toiles. Les progrès techniques introduits dans les mines du Harz, de Thuringe, de Bohême et de Hongrie permettent un accroissement de la production du cuivre et de l’étain, du zinc et de l’argent. Augsbourg et Nuremberg fabriquent et exportent le laiton, le bronze, les armes, les canons, la quincaillerie. Nuremberg devient ainsi un grand centre bancaire. La concentration des toiles fabriquées dans les campagnes enrichit Augsbourg, Constance, Saint-Gall, Ravensburg.

Cet essor économique de l’Allemagne du Sud est l’un des phénomènes essentiels de la fin du Moyen Âge occidental.

Le règne de Maximilien (1493-1519)

Devenu empereur sans nulle difficulté, Maximilien se montra un grand prince, cultivé, appliqué, réfléchi. Il devait renforcer puissamment la position des Habsbourg dans l’Empire et en Europe, plus d’ailleurs par des alliances matrimoniales que par des conquêtes, de sorte que déjà l’on pouvait dire: Tu, felix Austria, nube . L’année même de son avènement, Maximilien se trouva reconstituer presque entièrement la domination bourguignonne. Le traité d’Arras (1482) lui avait donné toutes les possessions bourguignonnes des Pays-Bas impériaux: Hainaut, Namur, Brabant, Hollande, Zélande, Luxembourg.

Maximilien poursuivit son habile politique de mariages, d’abord avec son fils Philippe le Beau, qu’il maria en 1496 avec Jeanne, fille et héritière des Rois catholiques Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille. Il est vrai que Philippe n’était pas un fils docile et menait aux Pays-Bas, depuis 1495, une politique toute personnelle. Mais il mourut prématurément en 1506 et Maximilien reprit, au nom de ses petits-fils, le pouvoir aux Pays-Bas. À la fin de sa vie, Maximilien engagea des pourparlers avec Ladislas VII Jagellon, roi de Bohême et de Hongrie, pour marier les enfants de Ladislas, Louis et Anne, avec ses petits-enfants, Marie et Ferdinand, ce qui devait assurer à ce dernier les royaumes de Hongrie et de Bohême (1526).

En Allemagne, Maximilien réussit, dès 1493, à unifier les États héréditaires: Autriche, Styrie, Carinthie, Carniole et Tyrol qui, avec leurs ressources en sel, cuivre et argent, formaient la base de sa puissance, et leur ajouta Gorizia et Fiume. Dans l’Empire, s’il reconnut définitivement l’indépendance de fait des Cantons suisses (1499), il tenta de renforcer son autorité en étendant à toute l’Allemagne les institutions autrichiennes. De 1495 à 1512, il présenta ses projets à des Diètes successives, se heurtant à l’opposition des princes et devant se contenter d’utiliser quand besoin en était les organismes autrichiens. Ceux-ci étaient: la chambre impériale ou Reichskammer , tribunal suprême; le conseil aulique, Hofrat , à la fois conseil d’État et cour de justice; la chambre aulique, Hofkammer , conseil financier siégeant à Innsbruck, dont une section assurait l’administration financière de l’Empire; enfin la chancellerie, Hofkanzlei . Pour simplifier l’administration et la justice, l’Allemagne fut divisée en dix cercles, selon une idée déjà ancienne: Autriche, Bavière, Bourgogne, Franconie, Haut-Rhin, Bas-Rhin, Haute-Saxe, Basse-Saxe, Souabe et Westphalie; cet effort de simplification heurtait les traditions, les droits souverains des villes et des princes (encore que, primitivement, les électorats n’en fissent pas partie). Il en était de même d’un recrutement militaire général et de la taxe, gemeine Pfenning , qui pouvaient être consentis par la Diète, ou Reichstag . Cette assemblée remontait au haut Moyen Âge, l’empereur y convoquant primitivement évêques et abbés, ducs et comtes, voire certains seigneurs auxquels vinrent s’ajouter, à partir de 1255, les représentants des villes impériales et libres. La Diète comprit désormais trois collèges – des Électeurs, des princes et des villes – chacun délibérant séparément, les décisions étant prises ensuite par la réunion générale et présentées à l’empereur qui était chargé de les publier sous forme d’édits. C’est un organisme sans efficacité, puisque le vote majoritaire n’avait pu y être imposé, mais qui disposait pourtant d’une commission permanente, la Régence, directoire de vingt-et-un membres. L’archevêque de Mayence, archichancelier d’Empire, présidait ce directoire: son approbation était nécessaire pour convoquer la Diète et fournir les ressources nécessaires au fonctionnement de la Reichskammer . Maximilien ne parvint pas à créer un vrai gouvernement central allemand; princes et villes restèrent maîtres du consentement de l’impôt et de l’aide militaire.

À la veille de la Réforme

Le règne de Maximilien fait transition entre l’époque médiévale et les Temps modernes. C’est alors que s’établissent les premiers rapports entre le pouvoir et la nouvelle puissance des banquiers, en l’occurrence entre Maximilien et Jakob Fugger. Surtout c’est le moment où apparaît, en matière religieuse, un climat préréformateur dont l’une des plus célèbres manifestations fut la Reformatio Sigismundi composée, aux environs de Bâle, vers 1439. Elle prônait le retour à l’ordre ancien voulu par Dieu, par la sécularisation des biens d’Église, la substitution à l’ancienne noblesse d’une nouvelle aristocratie au seul service de l’Église et de l’Empire rénovés, l’établissement d’un juste prix des denrées et l’abolition du servage que condamnait l’éthique chrétienne.

Les dominicains, sous la conduite de Tetzel, prêchaient en Saxe, par des procédés de bruyante réclame, l’indulgence promise par Léon X pour financer la reconstruction de Saint-Pierre de Rome. Luther, religieux augustin, enseignait déjà à l’université de Wittenberg sa doctrine du salut et, le 31 octobre 1517, affichait ses quatre-vingt-quinze propositions contre le principe et la pratique des indulgences, sans pourtant se révolter encore contre l’autorité du pape. Les deux dernières années du règne de Maximilien correspondirent au développement, chez Luther, des conséquences de l’attitude affirmée par celui-ci à la diète d’Augsbourg convoquée en 1518 par l’empereur, puis à Leipzig où, face à Eck, il soutint l’autorité du jugement individuel librement appliqué à l’étude de la Bible: la Réforme était née en fait. Maximilien mourut le 12 janvier 1519, avant la rupture, que l’on peut dater du 10 décembre 1520, jour où, sur la place de Wittenberg, Luther brûla la bulle qui lui ordonnait de se rétracter.

À la fin du Moyen Âge, on commençait à parler du «Saint Empire romain germanique», reconnaissant ainsi qu’il était pratiquement limité à l’espace allemand. C’était un agglomérat d’États princiers, laïcs et ecclésiastiques, qui cherchaient à augmenter leur territoire et leur indépendance sans se laisser incorporer dans une quelconque unité impériale, de villes libres transformées en républiques urbaines, de domaines de chevaliers qui ne se prévalaient de leur immédiateté vis-à-vis de l’empereur que pour demeurer indépendants de voisins plus puissants. C’est dans la mesure où les Habsbourg, qui venaient d’accroître leurs propres possessions de l’essentiel des territoires bourguignons, étaient les plus puissants, les plus riches parmi les princes allemands qu’ils pouvaient prétendre s’imposer à l’Empire et lui dicter une certaine politique. À la condition toutefois de ne pas se laisser tenter par de nouveaux rêves de domination universelle, à l’échelle d’un monde prodigieusement agrandi par les voyages de découverte.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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